Sr. Anula Irvin : « L'expérience de Dieu en Marie Poussepin et son abandon a la Providence »

on 07 Fév, 2020
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H. Ruth Elena Correa
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Par SR. ANULA IRVIN SUGUNA (Inde).- Le 25ème anniversaire de la Béatification de la Bienheureuse Marie Poussepin est une occasion pour chacune de nous de réfléchir à nouveau sur son expérience et sa proximité avec Dieu, sa perception du monde et sa réponse au service de Dieu et des autres dans l’exercice de la Charité. 
 

Il s’agit de la possibilité de redécouvrir quelques idées qui pourraient nous motiver pour être plus attentives aux aspects essentiels qui constituent notre vie consacrée. La phrase : « Elle vit ce qui était bien aux yeux de Dieu et elle l’a accompli »[1] est un résumé exact de toute la vie de Marie Poussepin. Son charisme personnel fut d’aimer Dieu dans son prochain. Elle a expérimenté Dieu dans des moments profonds de prière et de contemplation dans le silence de son cœur. Elle l’a aussi expérimenté dans sa Parole qui était « esprit et vie »[2]. Elle l’a trouvé dans la Liturgie. Elle a ressenti sa présence dans toutes ses actions. Elle s’est fiée en la Divine Providence et s’est soumise à sa volonté dans les simples événements quotidiens de sa vie, comme dans les grands. Elle était ferme dans sa foi, inébranlable dans son espérance et généreuse dans sa charité.

Cette réflexion pourra nous aider à redécouvrir son expérience de Dieu et sa confiance en la Divine Providence.

1. Elle a vu… Elle a réfléchi…

L’expérience de Dieu est toujours personnelle, transformatrice et productive.[3] Cette expérience de Dieu forma Marie Poussepin. C’est une âme de laquelle a jailli son apostolat. Marie Poussepin a vu peu à peu et progressivement. Ce qu’elle vit, elle le fit à la lumière de la foi. Elle vit ses parents lui enseigner les valeurs évangéliques, la prière en famille et, surtout, prenant forme en elle, l’amour pour les malades, les pauvres et les nécessiteux alors qu’elle était engagée avec sa maman dans les activités de la Confrérie de la Charité. Elle a vu toutes les activités caritatives réalisées par ses parents, ce qui lui a inculqué la compassion pour les pauvres et l’amour pour le service. Les personnes ont reconnu en elle la sainteté, quand entre 7 et 15 ans elle fut choisie 17 fois pour être marraine de baptême, puis plus tard, plusieurs fois encore. Elle a vu sa famille en difficultés. Ce furent les événements qui successivement lui révélèrent les desseins de Dieu pour elle. La mort de sa mère, les frustrations de son père et sa responsabilité de donner à son jeune frère une position sûre, sont des événements qui l’ont amenée à déterminer ce qu’elle devait faire.[4] Elle a vu une grande misère à Sainville. Elle a vu de nombreuses petites filles orphelines « sans refuge et sans aide ». Elle a vu que les malades n’étaient pas assistés et que c’était un lieu « où l’ignorance était grande, pour ne rien dire de plus ».[5] Avec une volonté forte, elle a vu clairement les déficiences de son temps et a cherché des solutions adaptées à ses possibilités. Elle a essayé de faire la volonté de Dieu en se confiant en sa providence et a mené une vie centrée en Christ.

Dans les Ecritures il y a de nombreux témoignages qui nous encouragent à « courir avec constance l’épreuve qui nous est proposée » (Heb 12, 1 ; 11, 1 – 12,3). Cela nous invite à nous rendre compte de ce qu’« une grande nuée de témoins » (Heb 12, 1) nous pousse à avancer vers le but.[6] Ce témoin est notre Mère Fondatrice, la Bienheureuse Marie Poussepin, qui continue d’avancer en réfléchissant, réfléchissant encore et méditant sur ce qu’elle voit. Souvent elle contemple la Trinité, pour entrer dans le cœur du Seigneur, dans les blessures de Jésus, parce que là est la demeure de la miséricorde divine.[7] Ainsi, sa réflexion a-t-elle produit une nouvelle vigueur spirituelle et une importante transformation dans l’Eglise.

2. Ce qui était bien… Elle a contemplé…

Le plan du Père est le Christ et c’est le Christ qui aime en nous parce que « la sainteté n’est pas autre chose que la charité vécue au maximum » .[8] Marie était une femme ouverte au présent, décidée à réussir dans sa vie plutôt que de vivre pour vivre. Elle adorait et priait le Seigneur du plus profond de son cœur, et voulait l’imiter dans « Son amour pour le Père et pour toutes les personnes ». Elle a contemplé Jésus qui enseignait, soignait les malades et pardonnait au pécheur. Elle a permis que l’Esprit forgeât en elle le mystère personnel qui peut refléter Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui. Elle a ressenti la présence de Dieu dans toutes ses actions. Les luttes et difficultés qu’elle a affrontées la firent dépendre entièrement de la Providence. Elle considéra approprié d’entrer dans le domaine provocateur des entreprises en se confiant en la miséricorde de Dieu qui lui donna confiance en elle-même et sagesse intérieure. Le feu de l’amour et la soif du dépassement peuvent faire des miracles, non seulement dans la vie propre mais aussi dans la vie des autres. C’était une femme qui voyait la bonté chez les autres. Elle a investi son énergie dans le bien commun de la société.

Elle a eu l’opportunité de connaître le Père Mespolié O.P., l’Ordre dominicain et la spiritualité de Saint Dominique ; par cet esprit dominicain, elle se fit aimer de ceux qui souffraient. Elle a vu le visage de Dieu à travers la souffrance, et s’est occupée non seulement de leurs besoins physiques mais aussi de leurs besoins spirituels et psychologiques. Elle a soigné Marie Olivier avec compassion jusqu’à sa mort lui offrant son propre lit. Elle pratiquait l’amour dépouillé enseigné par son maître. L’oraison ne l’a pas séparé de ce qui se passait tout autour d’elle. Sa spiritualité part de son expérience de Dieu, dans la vie quotidienne, dans la vie fraternelle, dans le travail, le repos, la douleur, la souffrance et la pauvreté de ses contemporains.[9]

Il lui a paru pertinent d’ouvrir une communauté dominicaine unie au nom de Jésus-Christ, dans laquelle la Parole est accueillie, partagée, étudiée et célébrée. La Parole de Dieu nous amène à partager avec tous ceux que nous rencontrons durant cette vie et à proclamer l’espérance sûre qu’elle contient (cf. 1 P3, 15-16)[10]. Elle voulait que ses filles se laissent nourrir par la Parole et le Pain, pour reconnaître et vivre pleinement sa relation avec Lui et avec les frères et sœurs. Pour elle, la prière est la lumière qui illumine l’obscurité de nos esprits, le pont pour traverser les tentations, l’exercice des anges, la joie des bénis et le canal par lequel coulent toutes les grâces.[11] Tout au long de notre chemin d’accueil de la Parole de Dieu en nos cœurs, la Mère du Seigneur nous accompagne et Marie Poussepin voit la Vierge Marie comme un exemple qui invite à vivre le don de soi dans la foi et dans l’humilité du cœur.[12]

Dans son attitude de simplicité et d’humilité, sans distinctions de personnes ni de pays ni de naissance, elle fit ce qui plaisait au Seigneur dans l’exercice de la charité pour soulager la misère des gens.

3. Aux yeux de Dieu… Elle était unie…

Marie a discerné la volonté de Dieu, étant donné qu’elle a passé beaucoup de temps dans le silence et la solitude en prière avec le Seigneur, vu qu’elle désirait voir le monde, avec les yeux du Seigneur. Avec Lui, elle fit beaucoup de plans qu’elle dû revoir, à certaines occasions pour les transformer selon Son plan.[13] Aux yeux de Dieu, elle était sainte en vivant son engagement avec joie, en « travaillant avec intégrité et habileté au service de son peuple, en enseignant patiemment aux petits la suite de Jésus, en travaillant pour le bien commun et en renonçant à son bénéfice personnel »[14] . « Sa décision constante et ferme de le suivre lui a permis de déposer à ses pieds, toute sa douleur, sa souffrance et ses sacrifices. Aux yeux de Dieu, elle avait beaucoup grandi dans sa vie spirituelle et Il lui donna les forces de porter toutes les croix qu’elle a eues dans sa vie. Elle souhaitait arriver vers les pauvres et ceux qui étaient dans le besoin avec la vision de Dieu et l’amour de compassion du Christ. Marie s’est rappelée des paroles de Dieu à Moïse : « J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte ; j’ai écouté son cri à cause de leurs oppresseurs. De fait, je connais ses souffrances » (Ex 3, 7). Ce fut un appel qui fit que Marie laissera au-delà de toutes les commodités et la sécurité de la vie, tout ce qu’elle gagnait à la sueur de son front, la richesse, la renommée et tout ce qui lui était cher.[15] Elle considéra cet appel comme étant de plus grande valeur. Bien qu’elle ne sache où aller, n’ayant rien à manger, son cœur était plein d’amour pour son peuple, parce qu’elle se confiait pleinement en la providence. Elle suivit l’exemple de Saint Dominique qui passait ses nuits avec le Seigneur et le jour avec les gens. Le fruit de sa vie de prière a été mis en lumière par son service offert à tous.

Marie est restée unie au Seigneur par une continuelle prière « du cœur »[16]. Elle a trouvé l’unité entre la contemplation et l’action par cette fréquente élévation de l’esprit et du cœur vers Lui. En permanence ses yeux étaient ouverts sur la communauté et sur chaque sœur en particulier. Cela signifie avoir une vigilance active, une attitude de service et d’organisation, des relations fraternelles, des fonctions administratives et une attention solidaire envers chacune des sœurs[17]. Cela fut possible parce qu’elle était unie au Seigneur dans l’Eucharistie, où la Parole vivante est réellement présente. Tous les jours elle renouvelait sa foi en recevant ce trésor du Pain et du Vin consacrés par le divin Voyageur qui s’était joint aux deux disciples sur la route vers Emmaüs et leur avait ouvert les yeux à la lumière et leurs cœurs à une nouvelle espérance (cf. Lc 24, 13-35).[18] Elle vivait sous le regard du Seigneur, pour « renouveler souvent son intention de faire toutes choses pour Lui ».

4. Et elle l’a accompli… avec confiance en la Providence…

Chaque saint est une mission, planifiée par le Père pour refléter et incarner, à un moment spécifique de l’histoire, un certain aspect de l’Evangile.[19] Marie Poussepin était une femme à l’esprit lucide qui, durant sa vie, peu importe à quelle étape de la sienne, a reconnu ce que devait être son action. Elle a pu assumer les risques sans éviter ses responsabilités, sans craindre l’échec, essayant de donner des réponses concrètes aux problèmes du monde. Elle a pris la décision vitale de quitter sa famille, son lieu d’origine, ses ressources et tout ce qui constituait sa vie et, se confiant en la seule Providence, elle a continué à suivre le projet de Dieu. Elle est arrivée vers les plus nécessiteux, là où la misère était grande. Le ministère de l’éducation et de la santé fut un rayon d’espérance dans la vie de beaucoup dont les esprits étaient dans l’obscurité de l’ignorance et qui étaient devenus esclaves par la maladie. Elle a pu motiver de nombreux cœurs jeunes qui collaborèrent avec elle dans sa mission et auxquels elle apprit à se confier en la Providence et la Miséricorde de Dieu. Marie a expérimenté Dieu comme un Dieu de miséricorde et de compassion, un Dieu d’amour et de pardon. Sa charité miséricordieuse s’est étendue à tous : le pécheur, l’affligé, l’ignorant, le malade et le pauvre.[20]

Celui qui entre en contact avec le feu revient enflammé, transformé en un vif appel d’amour. Marie Poussepin est témoin de cette expérience de Dieu. Elle connaissait Jésus et vivait avec le désir d’entrer dans son mystère.[21]

Son intimité avec le Seigneur l’a revitalisée pour être un reflet de son amour dans la mission. Lire les signes des temps et écouter la voix de Dieu au plus profond de son cœur lui a donné courage et ténacité pour faire naître la Congrégation, comme la semence de la charité dans son âme.

Conclusion

Le point de départ pour chaque Sœur de Charité Dominicaine de la Présentation est l’expérience de Dieu. Le « Sainville » d’aujourd’hui est autour de nous, dominé quelquefois, menaçant à d’autres moments. Il faut de la sagesse pour le découvrir, de l’audace pour le faire notre et de la prudence pour le transformer. Nous ne pouvons trouver des solutions adéquates que si nous sommes fortement enracinées dans le Seigneur. Avec l’aide de l’Esprit, nous pouvons demeurer dans la foi, dépasser les défis avec espérance et nous donner totalement au service de la charité.

La Bienheureuse Marie Poussepin fut une femme intrépide de son temps, ayant une grande vision et pleine confiance en la Providence de Dieu. Elle vit aujourd’hui en de nombreux cœurs, spécialement en ses filles. Les filles de Marie Poussepin sont invitées à maintenir cette expérience de Dieu par une touche féminine qui révèle le visage maternel de Dieu. Elle nous demande qu’aujourd’hui nous soyons des contemplatives pénétrant le monde de sa présence.

Pour réfléchir :

1) Au milieu de tous les problèmes et difficultés, Marie Poussepin nous invite à porter un rayon d’espérance dans un monde déprimé et désespéré. Elle nous lance le défi que la vraie libération ne vient que par le Christ. Comment mon expérience de Dieu m’aide-t-elle à contempler en profondeur « La Parole » et lui permet-elle, au feu du charisme de la Bienheureuse Marie Poussepin, d’enflammer mon cœur ?

2) Marie Poussepin nous offre aujourd’hui cette « prière continuelle du cœur » comme une manière simple d’être en communion avec Lui au milieu des activités agitées. De quelles manières pourrions-nous nous unir sous le regard de Dieu pour contempler et répondre à ce monde provocateur ?


[1] Ces paroles se trouvent sur sa tombe, Magnifique synthèse de la vie de notre fondatrice : voir –accomplir. Ratio Formationis, p. 17.

[2] Sr. Reetha Mechery, « Marie Poussepin : Son expérience de Dieu », Forum sur Marie Poussepin, Rome, Italie, 19 novembre 1994, p.7.

[3] Fr. Abelardo Lobato, « Marie Poussepin : Son expérience de Dieu”, Forum sur Marie Poussepin, Rome, Italie, 19 novembre 1994, p.13.

[4] Bernard Préteseille, 20 ans après la Béatification de Marie Poussepin, Conférences de l’abbé Préteseille, Tours, 2014, p. 88.

[5] Réglements de Sainville, Préface ; Bernard Préteseille, 20 ans près la Béatification de Marie Poussepin, p 88. Constitutions, « Intuition Première », p.11.

[6] Pape François, Encyclique Apostolique Gaudete et Exultate, n° 3.

[7] Saint Bernard de Clairvaux, Sermones in Canticum Canticorum, 31, 3-5 : PL 183 : 1071-1073.

[8] Benoît XVI ; Catéchèse, Audience Générale du 13 avril 2011 : Enseignements VII (2011), p. 451.

[9] Ratio Formationis ad experimentum, p. 14.

[10] Pape François, Lettre Apostolique Aperuit Illis, no.13.

[11] Réglements de Sainville, Chapitre VII p.33.

[12] Ratio Formationis ad experimentum, p. 12

[13] Quelquefois les plans de Marie Poussepin ne se réalisèrent pas. Bien qu’elle ait pris, en son temps, l’initiative d’obtenir l’approbation de l’Ordre Dominicain pour établir sa communauté sous le patronage de Saint Dominique, cela ne se réalisa que beaucoup plus tard. Toutefois elle continua à vivre de la spiritualité de Saint Dominique participant activement à la mission de charité dans l’Eglise.

[14] Pape François, Exhortation Apostolique Gaudete et Exultate, no. 14.

[15] Sr. Mary Domminic, Bienheureuse Marie Poussepin : apôtre Social de la Charité, p.22.

[16] Réglements de Sainville, Chapitre II, art. 3 ; Constitutions, « Intuition Première » p.13.

[17] Marie Poussepin et sa Communauté, p 17.

[18] Jean-Paul II, Lettre Encyclique Ecclesia de Eucharistia, art.59.

[19] Pape François, Encyclique Apostolique Gaudete et Exultate, no. 19.

[20] Sr. Reetha Mechery, « Marie Poussepin : Son Expérience de Dieu », Forum sur Marie Poussepin. Rome, Italie, 19 Novembre 1994 p 8.

[21] Dans le Chapitre XXVII des Réglements de Sainville, se trouve la phrase : « Qu’elles portent partout où elles seront appelées la connaissance de Jésus-Christ et de ses mystères ».